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le cardinal. — Tais-toi donc, marquis, tu es ivre… (À part, observant Victoria.) Décidément, je suis dupe d’une ressemblance comme l’a été mon confrère de Rohan dans l’affaire du Collier… Cette marquise, patricienne endiablée, n’a rien de commun avec la commensale de la Dubois.

victoria. — Je l’ai dit, je le maintiens, je le prouve ; oui, Louis XVI est le pire des révolutionnaires… Est-ce lui, oui ou non, qui, le 5 mai de cette année 1789, a convoqué les États généraux, au lieu de convoquer vingt-cinq mille hommes dévoués, commandés par des chefs impitoyables ? Ces troupes, il fallait les choisir parmi les régiments étrangers, inaccessibles à l’esprit de sédition. Vingt-cinq mille hommes ne suffisaient-ils pas, Louis XVI devait doubler ce nombre en s’adressant à ses frères souverains d’Europe, au nom du salut des trônes… Alors c’était fait de cette criarde et couarde chimère appelée l’opinion publique… la révolution, à peine éclose, rentrait dans son néant pour n’en plus sortir.

le vicomte de mirabeau. — Ah ! croyez-moi, madame la marquise, il est des régiments français, le mien est du nombre, je m’en fais gloire, qui eussent égalé, sinon primé, les régiments étrangers dans cette implacable croisade contre les ennemis du trône.

victoria. — Mais j’excuse, s’il est possible de l’excuser, cette première et irréparable faute… je devrais dire « ce premier crime » de Louis XVI… Les États généraux se réunissent le 5 mai. La majorité de la noblesse et du clergé, justice leur soit rendue, a l’instinct du danger ; ils tentent de maintenir la délibération par ordre, afin d’annuler l’influence numérique du tiers état, et refusent de se mêler à ces bourgeois pour la vérification des pouvoirs. Le tiers état insiste, et, sur un nouveau refus de la noblesse et du clergé, il passe outre. Enfin, d’après la motion de ce renégat d’abbé Sieyès, les députés des communes ont l’insolence de se déclarer, le 17 juin, Assemblée nationale, au nom de la prétendue souveraineté du peuple ; ils s’arrogent le droit de voter l’impôt et déclarent que si l’autorité royale