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considérable, car depuis un mois que la marquise réside à Paris, elle vit avec une extrême magnificence, et…

— Depuis un mois ? — dit vivement l’abbé Morlet interrompant M. de Plouernel. — Quoi !… vous connaissez cette dame depuis un mois seulement… et vous commettriez l’incroyable imprudence de l’initier aux secrets de notre parti ?

— Eh ! l’abbé, la marquise est, si cela se peut dire, plus de notre parti que nous n’en sommes nous-mêmes… Patricienne et catholique, elle ressent une invincible horreur du populaire et des révolutions… Aussi, croyez-moi, nous n’aurons jamais de plus puissant auxiliaire que la marquise… Et puis, si vous saviez combien elle est belle, séduisante, irrésistible ! Quel esprit ! quel feu ! quelle éloquence ! Quelle verve de haine contre nos ennemis communs !

— Fort bien, — reprend le jésuite d’un air défiant, — et comment, s’il vous plaît, avez-vous connu cette irrésistible personne ?

— Un jour, il y a environ un mois de cela, je reçois de la marquise un billet empreint d’une fierté courroucée. Elle se plaignait à moi, colonel aux gardes, de l’insolence de plusieurs de mes soldats qui, prétendant avoir failli être écrasés par ses chevaux, avaient eu l’audace de battre ses laquais. Elle exigeait de moi une réparation éclatante, faute de quoi elle me déclarerait indigne de mon titre de gentilhomme… Frappé du caractère altier de ce billet, je me rends chez la marquise. Elle avait loué, meublé, l’hôtel de la comtesse de Saint-Mégrin actuellement en Angleterre, et tenait dans cet hôtel le plus grand état de maison… L’un des valets de chambre de la marquise m’introduit dans son salon… Ah ! l’abbé…

— Continuez… — répond le jésuite dominant son impatience et son inquiétude, — continuez, de grâce… tout ceci me semble fort curieux.

— À l’aspect de la marquise, je reste ébloui, fasciné.

— Quelle était, je vous prie, la cause de cette fascination-là ?

— L’incroyable beauté de cette étrangère… le feu de son regard,