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remettez votre épée au fourreau… à cette heure où la bataille est engagée avec le tiers état soutenu d’une vile populace !… Ah ! comte… comte !!! si vous n’apparteniez à la maison de Plouernel, je dirais…

— Ne dissimulez pas votre pensée, mon révérend.

— Eh bien ! je dirais que vous êtes lâche ou traître… Or, comme vous n’êtes ni lâche ni traître… je dirai simplement que vous êtes fou.

— Jamais au contraire je n’ai plus sagement agi, mon cher abbé… jamais je n’ai plus utilement servi notre cause et mieux prouvé mon dévouement éclairé, non point au roi… sa lâche faiblesse me révolte… mais à la reine, mais à la royauté !

— Ainsi, vous avez cru habile et politique d’abandonner le commandement de votre régiment dans les sinistres conjonctures où nous sommes ? Est-ce donc à moi, débarqué aujourd’hui ici, de vous apprendre que Paris est ce soir dans la plus grande fermentation et peut-être à la veille d’une formidable insurrection ? N’ai-je pas vu, de l’autre côté de la Seine, commencer d’élever des barricades ? N’ai-je pas rencontré à chaque coin de rue des groupes de hideuse populace harangués par des cabaleurs du tiers état avec une violence de langage inouïe… proférant des menaces atroces contre la reine, le comte d’Artois, les Polignac !

— Tout ceci est vrai, l’abbé… nous approchons d’un moment de crise décisive… Cette fièvre révolutionnaire dure depuis avant-hier samedi 10 juillet… Le premier acte a eu lieu au Palais-Royal, lorsque le renvoi de Necker a transpiré dans le public. Un jeune drôle, nommé, je crois… Camille Desmoulins ou… Dumoulin, a ameuté les gobe-mouches du jardin, s’écriant que le roi concentrait des troupes sur Paris, afin de dissoudre par la force l’Assemblée nationale, d’arrêter les meneurs des communes et de mitrailler les Parisiens s’ils osaient remuer.

— Eh ! voilà ce que le roi aurait dû faire le lendemain de la réunion de ces maudits États généraux ! la monarchie et l’Église seraient sauvées…