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rompant et remarquant alors seulement l’air de fête et l’éclairage a giorno des salons du rez-de-chaussée : — Le comte attend donc ici, ce soir, nombreuse compagnie ?

— Oui, monsieur l’abbé… monseigneur donne un grand souper.

— Se réjouir… donner à souper… lorsque… — reprit l’abbé avec une impatience croissante, et après une nouvelle réticence : — Comment se fait-il qu’ensuite de l’agitation qui règne depuis avant-hier et ce soir dans Paris, le comte ne soit pas à la tête de son régiment des gardes ?…

— Monsieur l’abbé ignore donc…

— Quoi ?

— Monseigneur, selon que je l’ai appris de notre intendant, est allé ce matin à Versailles se démettre du commandement de son régiment…

— Se démettre du commandement de son régiment ! — répéta le jésuite avec une sorte de stupeur et comme s’il ne pouvait croire à ce qu’il entendait, et il ajouta mentalement : — Renoncer à son commandement dans les circonstances où nous sommes !… Non, non, c’est impossible… ce serait folie ou trahison…

En ce moment le Lorrain quitta le salon en y voyant entrer son maître.

Le comte Gaston de Plouernel atteignait alors sa trentième année ; les traits primitifs de sa race d’origine germanique s’étaient, par un mystérieux phénomène de transmission, reproduits en lui, ainsi que déjà plusieurs fois d’âge en âge ils s’étaient reproduits chez quelques-uns de ses ancêtres ; traits caractéristiques : nez en bec d’oiseau de proie, yeux vert de mer et cheveux d’un blond ardent dont la nuance disparaissait d’ailleurs sous la couche épaisse de poudre à la maréchale dont était parfumée la chevelure du comte. L’ensemble de sa personne était hardi, hautain, arrogant ; il offrait le type accompli du grand seigneur de ce temps-ci, et portait avec une aisance cavalière son habit de gros de Tours bleu clair, pailleté d’argent et