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nos implacables ennemis ! Mais leur puissance formidable nous commande ces mesures, et la sainteté de notre but les justifie… Nos ennemis ne disposent-ils pas d’une armée prête à exécuter leurs ordres impitoyables ? N’ont-ils pas le tout-puissant concours de l’Église ? Ne puisent-ils pas à pleines mains dans le trésor public ? Enfin, ne comptent-ils pas surtout sur l’appui de la bourgeoisie ? Elle leur est à cette heure hostile, en haine de leurs privilèges, mais la peur et l’égoïsme la rallieront étroitement à ces castes aux premiers grondements de la grande voix du peuple réclamant ses droits… Donc, toute arme est bonne pour combattre des ennemis tels que les nôtres… Victoria Lebrenn, tu peux devenir l’un de nos mystérieux et actifs auxiliaires, grâce à ton dévouement, à tes malheurs, à tes haines légitimes, à ton esprit, à la fermeté de ton caractère, enfin, grâce aux dons remarquables que tu tiens de la nature. Mais, pour servir utilement notre cause, il te faut faire abnégation complète de ta volonté, te résigner à une obéissance passive, à des ordres dont souvent la portée t’échappera ; mais, rassure-toi, ces ordres, quels qu’ils soient, n’ont d’autre but que le salut et le bonheur de l’humanité…

— Ordonnez, — répondit Victoria d’une voix ferme, — je suis prête à obéir.

— Je dois d’abord instruire six de nos frères des particularités de ta vie ; tu en as confié à ton initiateur le récit écrit de ta main. Nous avons constaté la rigoureuse vérité de ce récit et nous allons le lire à nos frères.

L’initiateur prit sur la table quelques feuillets de papier, puis il lut ainsi le récit de Victoria Lebrenn.

« — En l’année 1772, j’étais âgée d’onze ans et demi. Je traversais le jardin des Tuileries ; je portais le dîner de mon père, ouvrier imprimeur dans une imprimerie de la rue du Bac… Je m’étais un instant arrêtée afin de regarder les jeux de plusieurs enfants. Une femme bien vêtue et d’une physionomie respectable s’appro-