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devenus livides, se contractent, prennent une expression de haine si redoutable, que le prince frissonne malgré lui. Le masque de l’Euménide antique n’est pas plus effrayant que ne l’est alors le visage de Victoria ; elle palpite, elle halète ; puis, passant ses deux mains crispées dans sa noire chevelure, elle semble faire un violent effort sur elle-même pour surmonter ses ressentiments. Elle y parvient et reprend d’une voix altérée :

— Assez, Frantz… assez !… n’évoquons pas en vain ces souvenirs… ils éveillent en moi les sanglants appétits d’une bête féroce… Non, non ! n’usons pas l’effervescence, la farouche ivresse où ils me jettent, ces souvenirs !… en eux, je puiserai, au jour de l’action… au jour de la vengeance, la terrible énergie des représailles inexorables…

Et parvenant à se dominer complètement, la jeune femme ajoute :

— Revenons à notre entretien, Frantz… Nous sommes de même sang, selon vous ? À quelle époque remonte donc notre parenté ? L’un de vos aïeux, disiez-vous tout à l’heure, a laissé un écrit où il citait notre légende de famille à propos du prince de Gerolstein, descendant de Gaëlo-le-Pirate, qui épousa la belle Sygne… l’une des vierges guerrières qui accompagnaient les Normands au siège de Paris.

— L’un des descendants de Gaëlo, quittant la Norvège, alla s’établir, vers le dixième siècle, dans l’une des tribus indépendantes de la Germanie. Son courage, son aptitude à la guerre, le firent élire chef de cette tribu ; son fils, l’égalant en intelligence, en bravoure, lui succéda au commandement. Le pouvoir fut dès lors héréditaire dans cette famille. Plus tard, la tribu de Gerolstein devint l’une des principautés de la confédération germanique. C’est ainsi que les descendants de Gaëlo fondèrent la maison souveraine de Gerolstein… aujourd’hui représentée par mon père… qui règne en Allemagne sur sa principauté.

— Qu’entends-je !… votre père ?