Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, m’a-t-elle dit, à une Bohémienne qui me faisait mendier devant le parvis Notre-Dame, à Paris.

— Cette Bohémienne vous avait donc enlevée à vos parents vers l’âge de huit ans ?

— Je le pense, monseigneur.

— Rapprochements étranges ! — se dit Frantz de Gerolstein, de plus en plus pensif ; puis il reprend tout haut : — Mais par quelles circonstances êtes-vous devenue fille d’honneur de Catherine de Médicis ?

— La femme qui m’avait recueillie m’a présentée à la reine, et, pour mon malheur !… pour ma honte !… la reine s’est intéressée à moi !…

— Pour votre malheur ?… pour votre honte ?…

— Monseigneur, — répond Anna-Bell avec une expression navrante, — à seize ans… grâce aux principes, aux conseils, aux exemples que j’avais reçus… j’étais digne… entendez-vous bien… j’étais digne de faire partie de l’escadron volant de la reine !…

— Je vous comprends, infortunée !… Ah ! c’est horrible !…

— Ce n’est pas tout, monseigneur… Vint le jour où je dus prouver à ma bienfaitrice ma reconnaissance… C’était pendant la dernière trêve des guerres religieuses… M. de Solange, quoique protestant, venait souvent à la cour…

— Je l’ai connu… il était l’âme de son parti dans sa province.

— Il fallait le détacher de sa cause, monseigneur…

— Achevez…

— Il m’avait témoigné quelques préférences ; la reine m’a dit : « — M. de Solange t’aime ; il te plaît ; il te sacrifiera sa foi… si tu n’es pas cruelle envers lui… » — Enfin, monseigneur, j’ai cédé aux obsessions de la reine… aux exemples dont j’étais entourée… aux funestes principes dans lesquels l’on m’avait élevée… je n’ai eu conscience de l’indignité de ma conduite que le jour où… — mais Anna-Bell, s’interrompant, devient pourpre de confusion et n’ose