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de son côté. Christian, Justin, Jean Dubourg, Laforge, autre riche bourgeois, Marie-la-Catelle et son beau-frère Poille, le maçon architecte, prirent la route de la porte Montmartre, où ils arrivèrent au soleil levant ; quoique leur groupe ne fût composé que de six personnes, ils convinrent, par surcroît de prudence, de ne pénétrer dans Paris que deux à deux : d’abord Jean Dubourg et Laforge ; puis la Catelle et son beau-frère ; enfin Justin et Christian. Leur rentrée devait être inaperçue, pensaient-ils ; car déjà les paysans qui apportent des légumes et des fruits aux halles se pressaient aux abords de la porte de la ville avec un grand nombre de charrettes. Justin et Christian, bientôt séparés de leurs amis au milieu de cet encombrement de charrois, n’étaient plus qu’à quelques pas de la voûte du rempart, lorsqu’ils entendirent tout à coup de grandes clameurs et ces mots, répétés avec un accent d’indignation et de menace par une foule de voix : « Luthériens ! luthériens ! À mort les hérétiques ! » — Un cruel pressentiment navra Christian et son compagnon ; ceux de leurs amis qui les précédaient avaient sans doute été reconnus et arrêtés à la porte Montmartre. Tenter de les secourir, c’était s’exposer à partager leur sort sans espoir de leur venir en aide.

— Crois-moi, n’essayons pas de rentrer dans Paris à cette heure, — dit Justin à Christian, — nous sommes artisans de l’imprimerie de M. Robert Estienne, cela suffit pour que nous soyons soupçonnés d’hérésie… Cet infernal Gainier, l’espion du lieutenant criminel, a sans doute donné notre signalement à sa bande… Faisons, s’il le faut, le tour du rempart afin de rentrer par la Bastille Saint-Antoine ; cette porte est si éloignée de Montmartre, que peut-être l’on n’aura pas donné l’éveil de ce côté…

— Ma femme et mes enfants seraient dans une mortelle inquiétude s’ils ne me revoyaient pas ce matin à la maison, — répondit Christian ; — je vais tâcher de passer à la faveur du tumulte qui, malheureusement pour nos amis, augmente… Entends-tu ces cris forcenés ?

— Oui, aussi, je ne veux pas braver un péril inutile… Adieu,