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que vous me faites la grâce de me donner, en votre qualité de marchand de toile, probablement, est qu’il faut mettre les prêtres et les nobles à la lanterne… comme aux beaux jours de 93 ? et marier nos filles au premier goujat venu ?

— Ah ! monsieur, — reprit le marchand avec une tristesse pleine de dignité, — ne parlons pas de représailles ; oubliez ce que vos pères ont souffert pendant ces formidables années… j’oublierai, moi, ce que nos pères à nous ont souffert grâce aux vôtres, non pendant quelques années, mais durant quinze siècle de tortures… Mariez vos filles et vos sœurs comme vous l’entendrez, c’est votre droit, croyez aux mésalliances, cela vous regarde ; ce sont des faits, je les constate ; et comme symptôme, je le répète, ils sont graves, ils prouvent que pour vous il y a, il y aura toujours… deux races.

— Et quand cela serait, monsieur, que vous importe ?

— Diable ! mais cela nous importe beaucoup, monsieur : la sainte-alliance, le droit divin et absolu, le parti prêtre et l’aristocratie de naissance, tout-puissants, telles sont les conséquences forcées de cette croyance qu’il y a deux races, une supérieure, une inférieure, l’une faite pour commander, l’autre pour obéir et souffrir.

M. de Plouernel, se rappelant l’entretien qu’il venait d’avoir avec son oncle le cardinal, ne trouva rien à répondre.

— Vous me demandez la moralité de cette leçon d’histoire ?… la voici, monsieur… — reprit le marchand. — Comme je suis fort jaloux des libertés que nos pères nous ont conquises au prix de leur sang, de leur martyre… comme je ne veux plus être traité en vaincu ; tant que votre parti reste dans la légalité, je vote contre lui, en ma qualité d’électeur… mais lorsque, comme en 1830, votre parti sort de la légalité, afin de nous ramener, selon son idée fixe, au gouvernement du bon plaisir et des prêtres, c’est-à-dire au gouvernement d’avant 89… je descends dans la rue… pardon de la liberté grande, et je tire des coups de fusil à votre parti.

— Et il vous en rend !