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— Elle a une fort jolie jambe ! — répondit le prêtre en aspirant sa prise. — Elle est très-gentille, cette drôlesse ! Au quinzième siècle, nous l’aurions, pour sa plaisanterie, fait rôtir comme une petite juive. Mais patience… Ah ! mon ami, jamais… non, jamais… nous n’avons eu la partie si belle !!!

— La partie plus belle si les d’Orléans sont chassés et si la république est proclamée ?

Le cardinal haussa les épaules et reprit :

— De deux choses l’une : ou la république de ces va-nu-pieds sera l’anarchie, la dictature, l’émigration, le pillage, les assignats, la guillotine, la guerre avec l’Europe ; alors il y en aura pour six mois au plus, et notre Henri  V est ramené triomphant par la sainte-alliance… ou bien, au contraire, leur république sera bénigne, bête, légale, modérée, avec le suffrage universel pour base.

— Et dans ce cas-là, mon oncle ?

— Dans ce cas-là, ce sera plus long ; mais nous ne perdrons rien pour attendre. Usant de notre influence de grands propriétaires, agissant par le bas clergé sur nos paysans, nous devenons maîtres des élections, nous avons à la chambre la majorité, nous entravons toute mesure qui pourrait faire non pas aimer, mais seulement tolérer cet horrible et révolutionnaire état de choses ; dans tous les esprits nous semons la défiance, la peur ; bientôt mort du crédit, ruine générale, désastre universel, chœur de malédictions contre cette infâme république, qui meurt de sa belle mort après cet essai qui en dégoûte à jamais. Alors nous paraissons ; le peuple affamé, le bourgeois épouvanté, se jettent à nos pieds, nous demandant à mains jointes notre Henri V, le seul salut de la France… Vient enfin l’heure des conditions ; voici les nôtres : la royauté d’avant 89 au moins… c’est-à dire plus de chambre bourgeoise insolente et criarde, aussi reine que le roi, puisqu’elle le tient par l’impôt, ce qui est ignoble ; plus de système bâtard, tout ou rien ; et nous voulons tout, à savoir : notre roi de droit divin et absolu, appuyé sur un clergé tout-puis-