Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHAPITRE IV.


Comment le colonel de Plouernel déjeunait tête à tête avec une jolie fille qui improvisait toutes sortes de couplets sur l’air de la Rifla. — De l’émotion peu dévotieuse causée à cette jeune fille par l’arrivée d’un cardinal.




M. Gontran Néroweg, Comte de Plouernel, occupait un charmant petit hôtel de la rue de Paradis-Poissonnière, bâti par son grand-père. À l’élégance un peu rococo de cette habitation, on devinait qu’elle avait dû être construite au milieu du dernier siècle, et avait servi de petite maison. Le quartier des poissonniers, comme on disait du temps de la régence, très-désert à cette époque, était ainsi parfaitement approprié à ces mystérieuses retraites, vouées au culte de la Vénus aphrodite.

M. de Plouernel déjeunait tête à tête avec une fort jolie fille de vingt ans, brune, vive et rieuse : on l’avait surnommée Pradeline, parce que dans les soupers, dont elle était l’âme et souvent la reine, elle improvisait sur tout sujet des chansons que n’eût sans doute pas avouées le célèbre improvisateur dont elle portait le nom féminisé, mais qui du moins ne manquaient ni d’à-propos ni de gaieté.

M. de Plouernel, ayant entendu parler de Pradeline, l’avait invitée à souper la veille avec lui et quelques amis. Après le souper, prolongé jusqu’à trois heures du matin, l’hospitalité était de droit ; ensuite de l’hospitalité, le déjeuner allait de soi-même : aussi les deux convives étaient attablés dans un petit boudoir Louis XV attenant à sa chambre à coucher ; un bon feu flambait dans la cheminée de marbre chantournée ;