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— Grand Dieu ! monsieur, — s’écria Georges les mains jointes et en proie à un saisissement inexprimable, — il serait possible ! mademoiselle votre fille !…

— Ma fille nous a dit cela, reprit tranquillement M. Lebrenn. « Je te sais gré de ta franchise, mon enfant, lui ai-je répondu ; mais comment cet amour t’est-il venu ? — D’abord, mon père, en apprenant la conduite de monsieur Georges envers son grand-père ; puis en vous entendant louer souvent le caractère, les habitudes laborieuses, l’intelligence de monsieur Georges, ses efforts pour s’instruire. Enfin il m’a plu par ses manières douces et polies, par sa franchise, par sa conversation que j’entendais lorsqu’il causait avec vous. Jamais je ne lui ai dit un mot qui ait pu lui faire soupçonner mon amour. Lui, de son côté, n’est jamais sorti à mon égard d’une parfaite réserve ; mais je serais heureuse s’il partageait le sentiment que j’ai pour lui, et si ce mariage vous convenait, mon père, ainsi qu’à ma mère. S’il en est autrement, je respecterai votre volonté, sachant que vous respecterez ma liberté. Si je n’épouse pas monsieur Georges, je resterai fille. Vous m’avez souvent dit, mon père, que j’avais du caractère ; vous croirez donc à ma résolution. Si ce mariage ne se peut, vous ne me verrez ni maussade ni chagrine. Votre affection me consolera. Heureuse comme par le passé, je vieillirai auprès de vous, de ma mère et de mon frère. Voilà la vérité ; maintenant décidez, j’attendrai. »

Georges avait écouté M. Lebrenn avec une stupeur croissante. Il ne pouvait croire à ce qu’il entendait. Enfin, il s’écria d’une voix entrecoupée :

— Monsieur, est-ce un rêve ?

— Non pas. Ma fille n’a jamais été plus éveillée, je vous jure. Je connais sa franchise, sa fermeté ; ma femme et moi nous en sommes certains, si ce mariage n’a pas lieu, l’affection de Velléda pour nous ne changera pas, mais elle n’épousera personne… Or, comme il est naturel qu’une jeune et belle fille de dix-huit ans épouse quelqu’un,