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— Pourquoi ? parce que je suis ce qu’on appelle un bourgeois ?… un homme riche comparativement à vous, qui vivez au jour le jour de votre travail ?

— Oui, monsieur…

Après un moment de silence, le marchand reprit :

— Permettez-moi, monsieur Georges, de vous adresser une question ; vous y répondrez si vous le jugez convenable.

— Je vous écoute, monsieur.

— Il y a environ quinze mois, quelque temps après votre retour de l’armée, vous avez dû vous marier ?

— Oui, monsieur.

— Avec une jeune ouvrière fleuriste, orpheline, nommée Joséphine Éloi ?

— Oui, monsieur.

— Pouvez-vous m’apprendre pourquoi ce mariage n’a pas eu lieu ?

Le jeune homme rougit ; une expression douloureuse contracta ses traits ; il hésitait à répondre.

M. Lebrenn l’examinait attentivement ; aussi, inquiet et surpris du silence de Georges, il ne put s’empêcher de s’écrier avec amertume et sévérité :

— Ainsi, la séduction, puis l’abandon et l’oubli… Votre trouble… ne le dit que trop !

— Vous vous méprenez, monsieur, — reprit vivement Georges, — mon trouble, mon émotion, sont causés par de cruels souvenirs… Voilà ce qui s’est passé ; je ne mens jamais…

— Je le sais, monsieur Georges.

— Joséphine demeurait dans la même maison que mon patron. C’est ainsi que je l’ai connue. Elle était fort jolie, et, quoique sans instruction, remplie d’esprit naturel. Je la savais habituée au travail et à la pauvreté ; je la croyais sage. La vie de garçon me pesait. Je pensais aussi à mon grand-père : une femme m’eût aidé à le mieux soi-