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diesse de la manœuvre et la promptitude de coup d’œil du pilote gaulois. Après une assez longue navigation, la flotte, se trouvant près de la pointe méridionale de la baie du Morbihan, allait entrer dans ces parages, les plus dangereux de toute la côte de Bretagne par leur multitude d’îlots, d’écueils, de bancs de sable, et surtout par leurs courants sous-marins d’une violence irrésistible.

Un îlot, situé au milieu de l’entrée de la baie, que resserrent deux pointes de terre, partage cette entrée en deux passes très-étroites. Rien à la surface de la mer, ni brisants, ni écume, ni changement de nuance dans la couleur des vagues, n’annonce la moindre différence entre ces deux passages. Pourtant, l’un n’offre aucun écueil, et l’autre est si redoutable, qu’au bout de cent coups de rame les navires engagés dans ce chenal à la file les uns des autres, et guidés par la prétorienne que pilotait Albinik, allaient être peu à peu entraînés par la force d’un courant sous-marin vers un banc de rochers, que l’on voyait au loin, et sur lequel la mer, partout ailleurs calme, se brisait avec furie… Mais les commandants de chaque galère ne pourraient s’apercevoir du péril que les uns après les autres, chacun ne le reconnaissant qu’à la rapide dérive de la galère qui le précéderait… et alors il serait trop tard… la violence du courant emporterait, précipiterait vaisseau sur vaisseau… Tournoyant sur l’abîme, s’abordant, se heurtant, ils devaient, dans ces terribles chocs, s’entr’ouvrir et s’engloutir au fond des eaux avec leur équipage, ou se briser sur le banc de roches… Cent coups de rame encore, et la flotte était anéantie dans ce passage de perdition…

La mer était si calme, si belle, que nul, parmi les Romains, ne soupçonnait le péril… Les rameurs accompagnaient de chants le mouvement cadencé de leurs rames ; des soldats nettoyaient les armes, d’autres dormaient, étendus à la proue ; d’autres jouaient aux osselets. Enfin, à peu de distance d’Albinik, toujours au gouvernail, un vétéran aux cheveux blanchis, au visage cicatrisé, était assis sur un des bancs de la poupe, entre ses deux fils, beaux jeunes ar-