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se vanteront pas de m’avoir possédée !… » Ah ! pourquoi n’ai-je pas cédé à César !

— Méroë !…

— Peut-être te serais-tu vengé alors !… Cœur faible, âme sans vigueur ! il te faut donc l’outrage accompli… la honte bue… pour allumer ta colère ?…

— Méroë ! Méroë !…

— Il ne te suffit donc pas que ce Romain ait proposé à ta femme de se vendre ?… de se livrer à lui pour des présents ?… C’est à ta femme… entends-tu ?… à ta femme… que César l’a faite… cette offre d’ignominie !…

— Tu dis vrai, — a répondu le marin en sentant, au souvenir de ces outrages, le courroux enflammer son cœur, — j’étais une âme faible…

Mais sa compagne a poursuivi avec un redoublement d’amertume :

— Non, je le vois ; ce n’est pas assez… j’aurais dû mourir… peut-être alors aurais-tu juré vengeance sur mon corps !… Ah ! ils t’inspirent de la pitié, ces Romains, dont nous voulons faire une offrande aux dieux !… ils ne sont pas complices du crime qu’a voulu tenter César, dis-tu… Réponds ?… seraient-ils venus à mon aide, ces soldats, ces braves guerriers… Si, au lieu de me fier à mon seul courage et de puiser ma force dans mon amour pour toi, je m’étais écriée éplorée, suppliante : « Romains, au nom de vos mères, défendez-moi des violences de votre général ! » Réponds, seraient-ils venus à ma voix ? auraient-ils oublié que j’étais Gauloise… et que César était… César ? Les cœurs généreux de ces braves se seraient-ils révoltés, eux, qui, après le viol, noient les enfants dans le sang des mères ?…

Albinik n’a pas laissé achever sa compagne ; il a rougi de sa faiblesse ; il a rougi d’avoir pu oublier un instant les horreurs commises par les Romains dans leur guerre impie… il a rougi d’avoir oublié que le sacrifice des ennemis de la Gaule est surtout agréable à Hésus. Alors, dans sa colère, et pour toute réponse, il a chanté le