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tôt, et ensuite chassé du camp gaulois, je n’ai pu savoir les délibérations du conseil tenu la veille, — répondit Albinik ; — mais la situation était grave, car à ce conseil les femmes ont été appelées ; il a duré depuis le soleil couché jusqu’à l’aube. Le bruit répandu était que de grands renforts arrivaient à l’armée gauloise.

— Quels étaient ces renforts ?

— Les tribus du Finistère et des Côtes du Nord, celles de Lisieux, d’Amiens, du Perche. On disait même que des guerriers du Brabant arrivaient par mer…

Après avoir traduit la réponse d’Albinik à César, l’interprète reprit :

— Tu dis vrai… tes paroles s’accordent avec les rapports qui nous ont été faits… mais quelques éclaireurs de l’armée, revenus ce soir, ont apporté la nouvelle que de deux ou trois lieues d’ici… on apercevait du côté du nord les lueurs d’un incendie… Tu viens du nord ? as-tu connaissance de cela ?

— Depuis les environs de Vannes jusqu’à trois lieues d’ici, — a répondu Albinik, — il ne reste ni une ville, ni un bourg, ni un village, ni une maison… ni un sac de blé, ni une outre de vin, ni un bœuf, ni un mouton, ni une meule de fourrage, ni un homme, ni une femme, ni un enfant… Approvisionnements, bétail, richesses, tout ce qui n’a pu être emmené, a été livré aux flammes par les habitants… À l’heure où je te parle, toutes les tribus des contrées incendiées se sont ralliées à l’armée gauloise, ne laissant derrière elles qu’un désert couvert de ruines fumantes.

À mesure qu’Albinik avait parlé, la surprise de l’interprète était devenue croissante et profonde ; dans son effroi il semblait n’oser croire à ce qu’il entendait, et hésiter à apprendre à César cette redoutable nouvelle… Enfin il s’y résigna…

Albinik ne quitta pas César des yeux, afin de lire sur son visage quelle impression lui causeraient les paroles de l’interprète.

Bien dissimulé était, dit-on, le général romain ; mais à mesure que parlait l’interprète, la stupeur, la crainte, la fureur, et aussi le doute,