Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Après avoir un instant réfléchi, la jeune femme répondit :

— Il faut monter sur cet arbre, les feux du camp nous indiqueront notre route.

— C’est vrai, — dit le marin ; et confiant dans l’agilité de sa profession, il se disposait à grimper à l’arbre ; mais s’arrêtant, il dit :

— J’oubliais qu’il me manque une main… Je ne saurais monter.

Le beau visage de la jeune femme s’attrista et elle reprit :

— Tu souffres, Albinik ? Hélas ! toi, ainsi mutilé ?

— Prend-on le loup de mer sans appât ?

— Non…

— Que la pêche soit bonne, — reprit Albinik, — je ne regretterai pas d’avoir donné ma main pour amorce…

La jeune femme soupira, et après avoir regardé l’arbre pendant un instant, elle dit à son époux :

— Adosse-toi à ce chêne : je mettrai mon pied dans le creux de ta main, ensuite sur ton épaule, et de ton épaule j’atteindrai cette grosse branche…

— Hardie et dévoué !… tu es toujours la chère épouse de mon cœur, aussi vrai que ma sœur Hêna est une sainte ! — répondit tendrement Albinik.

Et s’adossant à l’arbre, il reçut dans sa main robuste le petit pied de sa compagne, si leste, si légère, qu’il put, grâce à la vigueur de son bras, la soutenir pendant qu’elle lui posait son autre pied sur l’épaule ; de là, elle gagna la première grosse branche, puis, montant de rameau en rameau, elle atteignit la cime du chêne, jeta au loin les yeux, et aperçut vers le midi, au-dessous d’un groupe de sept étoiles, la lueur de plusieurs feux. Elle redescendit, agile comme un oiseau qui sautille de branche en branche, et, appuyant enfin ses pieds sur l’épaule du marin, d’un bond elle fut à terre, en disant :

— Il nous faut aller vers le midi, dans la direction de ces sept étoiles… les feux du camp de César sont de ce côté.

— Alors, prenons cette route, — reprit le marin en indiquant le