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table, située à dix lieues de Karnak, et où devaient se réunir toutes les forces gauloises, a été choisie par le chef des cent vallées, élu général en chef de l’armée.

Les tribus, laissant derrière elles leurs champs, leurs troupeaux, leurs maisons, étaient rassemblées, hommes, femmes, enfants, vieillards, et campaient autour de la ville de Vannes, où se trouvaient aussi Joel, ceux de sa famille et de sa tribu. Albinik, le marin, ainsi que sa femme Méroë, ont tous deux quitté le camp, vers le coucher du soleil, pour entreprendre une longue marche. Depuis son mariage avec Albinik (il est fier de le dire), Méroë a toujours été la compagne de ses voyages ou de ses dangers sur mer. Alors, comme lui, elle portait le costume de marin ; comme lui, elle savait au besoin mettre la main au gouvernail, manier la rame ou la hache, car son cœur est ferme, son bras est fort.

Ce soir-là, avant de quitter l’armée gauloise, Méroë a revêtu ses habits de matelot : une courte saie de laine brune, serrée par une ceinture de cuir, de larges braies de toile blanche tombant au-dessous du genou, et des bottines de peau de veau marin ; elle porte son court mantel à capuchon sur son épaule gauche et sur ses cheveux flottants un bonnet de cuir ; de sorte qu’à son air résolu, à l’agilité de sa démarche, à la perfection de son mâle et doux visage, on pouvait prendre Méroë pour un de ces jeunes garçons, dont la beauté fait rêver les vierges à fiancer. Albinik aussi est vêtu en marin ; il a jeté sur son dos un sac contenant des provisions pour la route, et les larges manches de sa saie laissent voir son bras gauche enveloppé jusqu’au coude dans un linge ensanglanté.

Les deux époux avaient quitté depuis peu d’instants les environs de Vannes, lorsque Albinik, s’arrêtant triste et attendri, a dit à sa femme :

— Il en est temps encore… songes-y… Nous allons braver le lion jusque dans son repaire ; il est rusé, défiant et féroce… c’est peut-être pour nous l’esclavage, la torture, la mort… Méroë, laisse-moi