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— Alors, à bientôt, frère Julyan… et écoute attentivement… le récit… Maintenant… adieu… adieu… à vous tous de notre tribu…

Et Armel agita ses mains agonisantes vers ceux qui l’entouraient.

Et de même que des parents amicalement unis s’empressent autour de l’un d’eux, au moment où il part pour un long voyage, durant lequel il doit trouver des personnes restées chères au souvenir de tous, chacun serrait les mains d’Armel, et le chargeait de tendres paroles pour ceux de la famille ou de la tribu qu’il allait revoir.

Lorsque Armel fut mort, Joel abaissa les paupières de son parent, le fit transporter près de l’autel de pierres grises, au-dessus duquel était le bassin de cuivre où trempaient sept brins de gui.

Ensuite on couvrit le corps avec les rameaux de chêne dont on dégarnit l’autel, de sorte qu’au lieu du cadavre l’on ne vit bientôt plus qu’un monceau de verdure, auprès duquel Julyan restait assis. Le chef de la famille, emplissant alors de vin la grande coupe jusqu’aux bords, y trempa ses lèvres, et dit en la présentant à l’étranger :

— Que le voyage d’Armel soit heureux, car Armel a toujours été juste et bon ; qu’il traverse, sous la conduite de Teutâtès, ces espaces et ces pays merveilleux d’outre-tombe, que nul de nous n’a parcouru… que tous nous parcourrons… qu’Armel retrouve bientôt ceux que nous avons aimés, et qu’il les assure que nous les aimons !…

Et la coupe circulant à la ronde, les femmes et les jeunes filles firent des vœux pour l’heureux voyage d’Armel, puis l’on releva les restes du repas, et tous s’assirent autour du foyer, attendant impatiemment les récits promis par l’étranger.

Celui-ci, voyant tous les regards fixés sur lui avec une grande curiosité, dit à Joel :

— C’est donc un récit que l’on veut de moi ?

— Un récit ! — s’écria Joel, — dis donc vingt récits, cent récits. Tu as vu tant de choses ! tant d’hommes ! tant de pays ! un récit ! ah ! par le bon Ogmi, tu n’en seras pas quitte pour un récit, ami hôte.