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partir à la place du vieux Mark, afin de l’obliger et pour être agréable aux dieux, toujours touchés de ces sacrifices ; Gigel a librement consenti. Le vieux Mark lui a fait cadeau de dix pièces d’argent à tête de cheval, qui ont été distribuées par Gigel à ses amis avant de s’en aller ; puis, vidant joyeusement sa dernière coupe, il a tendu sa tête au couteau sacré, au bruit du chant des bardes. L’ange de la mort a accepté l’échange, car le vieux Mark a vu marier la fille de sa fille, et il est aujourd’hui en bonne santé….

— Veux-tu donc partir à ma place, Rabouzigued ? — demanda le mourant. — Je crains qu’il soit bien tard…

— Non, non, je ne veux point partir à ta place, — se hâta de répondre Rabouzigued. — Je te prie seulement de remettre à Gigel ces trois pièces d’argent que je lui devais ; je n’ai pu m’acquitter plus tôt. Je craindrais que Gigel ne revînt me demander son argent au clair de la lune, sous la figure d’un démon.

Et Rabouzigued, fouillant dans son petit sac de peau d’agneau, prit trois pièces d’argent à tête de cheval, qu’il plaça dans la saie d’Armel.

— Je remettrai tes pièces d’argent à Gigel, — dit le mourant, dont on entendait à peine la voix. Et il murmura une dernière fois à l’oreille de Julyan : — J’aurais… pourtant… bien aimé… à… entendre… les beaux récits… du… voyageur…

— Sois content, frère Armel, — lui répondit alors tout bas Julyan. — Je vais les bien écouter, ce soir, pour les retenir, ces beaux récits ; et demain… j’irai te les dire… Je m’ennuierais ici sans toi… Nous nous sommes juré notre foi de saldunes de ne jamais nous quitter ; j’irai donc continuer de vivre ailleurs avec toi.

— Vrai… tu viendras ? — dit le mourant, que cette promesse parut rendre très-heureux, — tu viendras… demain ?

— Demain, par Hésus… je te le jure, Armel, je viendrai.

Et toute la famille, entendant la promesse de Julyan, le regarda avec estime. Le blessé parut encore plus satisfait que les autres, et dit à son ami d’une voix expirante :