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— Nos parents finissent de remplir les râteliers des bestiaux, — répondit Margarid ; — ils vont revenir tout à l’heure. Si notre hôte y consent, nous les attendrons pour le repas.

— Je remercie la femme de Joel et j’attendrai, — dit l’inconnu.

— Et en attendant, — reprit Joel, — tu vas nous raconter…

Mais le voyageur, l’interrompant, lui dit en souriant :

— Ami, de même qu’une seule coupe sert pour tous, de même un seul récit sert pour tous… Plus tard la coupe circulera de lèvres en lèvres, et le récit d’oreilles en oreilles… Mais, dis-moi, quelle est cette ceinture d’airain que je vois là, pendue à la muraille ?

— Vous autres, dans votre pays, n’avez-vous pas aussi la ceinture d’agilité ?

— Explique-toi, Joel.

— Chez nous, à chaque nouvelle lune, les jeunes gens de chaque tribu viennent chez le chef essayer cette ceinture, afin de montrer que leur taille ne s’est pas épaissie par l’intempérance, et qu’ils se sont conservés agiles et lestes. Ceux qui ne peuvent agrafer la ceinture sont hués, montrés au doigt et payent l’amende. De la sorte, chacun prend garde à son ventre, de peur d’avoir l’air d’une outre sur deux quilles.

— Cette coutume est bonne. Je regrette qu’elle soit tombée en oubli dans ma province. Mais à quoi sert, dis-moi, ce grand vieux coffre ? Le bois en est précieux et il paraît très-ancien ?

— Très-ancien. C’est le coffre de triomphe de ma famille, — dit Joel en ouvrant le coffre, où l’étranger vit plusieurs crânes blanchis. L’un d’eux, scié par moitié, était monté sur un pied d’airain en forme de coupe.

— Sans doute, ce sont les têtes d’ennemis tués par vos pères, ami Joël ? Chez nous, ces sortes de charniers de famille sont depuis longtemps abandonnés.

— Chez nous aussi. Je conserve ces têtes par respect pour mes