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déplacement considérable et fâcheux fut… (cette fois son excellent jugement le trompa) fut sa foi complète à une amnistie générale, plus ou moins prochaine. Il fit partager cette conviction à sa famille ; les siens avaient trop besoin, trop envie de le croire pour ne pas accepter cette espérance. Aussi, les jours, les semaines, les mois, se passèrent dans une attente toujours vaine, et toujours renaissante.

Chaque jour le condamné recevait une longue lettre collective de sa femme et de ses enfants ; il leur répondait aussi chaque jour, et, grâce à ces épanchements quotidiens, ainsi qu’au courage et à la sérénité de son caractère si fermement trempé, M. Lebrenn avait supporté sans faiblesse la terrible épreuve dont on venait de voir le terme.

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La famille du marchand était toujours silencieusement occupée autour de la table ronde. Madame Lebrenn cessa un moment d’écrire et appuya son front sur sa main, pendant que son autre main, qui tenait la plume, s’arrêtait immobile.

Georges Duchêne, s’apercevant de la préoccupation de sa belle-mère, fit un signe à Velléda. Tous deux regardèrent silencieux madame Lebrenn. Sa fille, au bout de quelques instants, lui dit tendrement :

— Ma mère, tu parais inquiète, soucieuse ?

— Depuis bientôt treize mois, mes enfants, — répondit la femme du marchand, — voici le premier jour que nous ne recevons pas de lettre de votre père…

— Si monsieur Lebrenn eût été malade, ma mère, — dit Georges, — et hors d’état de vous écrire, il vous l’eût fait savoir, grâce à une main étrangère, plutôt que de vous inquiéter par son silence. Aussi, comme nous le disions tantôt, il est probable que pour la première fois sa lettre aura subi quelque retard.

— Georges a raison, ma mère, — reprit la jeune femme ; — il ne faut pas t’alarmer ainsi.