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conduisant doucement jusqu’à la porte de sa chambre : Rentrez chez vous, mon enfant… Attendez-moi.

Jeanne, brisée par tant d’émotions, tomba accablée sur un fauteuil ; sa tante ferma la porte, revint dans le boudoir, sonna, et dit à M. de Bracciano, avec un sourire de mépris écrasant :

— Monsieur Morisson, vous êtes bien lâche ; mais vous êtes bien cruel…

Un valet de chambre entra.

— Ma voiture, dit la princesse.


L’ambassadeur.

— Comment, madame ! s’écria M. de Bracciano, vous allez…

— Aux Tuileries… tout dire à l’empereur.


CHAPITRE XIII.

Réflexions.


On ne saurait dire avec quelle anxiété cruelle madame de Bracciano attendait le retour de sa tante.

La malheureuse femme envisageait alors les immenses difficultés qu’elle aurait à vaincre pour décider son mari à une séparation. Le temps pressait, Herman pouvait mourir.

M. de Bracciano s’était dévoilé avec une si cruelle franchise, qu’elle n’avait plus d’espoir que dans la volonté toute-puissante de l’empereur.

Depuis une heure sa tante était partie ; tantôt elle augurait bien de la longueur de son entrevue avec l’empereur Napoléon ; tantôt, au contraire, elle y voyait un fatal pronostic.

À chaque instant elle se levait de son fauteuil pour aller à la fenêtre ; à chaque voiture qui passait devant la grande porte ouverte de l’hôtel, elle tressaillait involontairement.

Tout à coup le trot précipité d’un cheval entrant dans la cour se fit entendre.

Jeanne courut à la fenêtre et vit un palefrenier à la livrée de l’empereur parler au concierge.

Le concierge sortit en courant de sa loge et se dirigea vers le vestibule.

Dans sa fiévreuse impatience, madame de Bracciano sonna une de ses femmes.

— Mademoiselle, allez voir ce que veut cet homme à la livrée de l’empereur.

Cinq minutes après, la femme de chambre rentra.

— Madame la duchesse, cet homme vient sans doute d’apporter à M. le duc l’ordre de se rendre à l’instant au château, car M. le duc a aussitôt demandé ses chevaux…

En effet, peu de temps après, la voiture de M. de Bracciano sortit de l’hôtel.

Ce nouvel incident vint augmenter la perplexité de Jeanne et lui donner pourtant une lueur d’espoir.

L’empereur désirait voir le duc, sans doute il hésitait à se prononcer ; mais quelle serait l’issue de cette entrevue ?

En réfléchissant à sa position, Jeanne s’avouait qu’elle n’avait aucun reproche grave et fondé à faire à M. de Bracciano.


Le divorce.

Il était cupide, ambitieux ; il comptait sur la fortune et la naissance de sa femme pour servir ses projets ; mais ce n’est que poussé à bout par la demande du divorce qu’il avait révélé ses vues intéressées ; et ces vues, les avouât-t-il à l’empereur, ne suffiraient pas sans doute pour autoriser une séparation.

Alors, ainsi que cela arrive toujours, Jeanne se demanda, mais trop tard, comment elle n’avait pas songé à la possibilité d’un refus de la part du M. de Bracciano ! Elle avait trouvé dans cette union si peu d’intérêt ; elle se croyait même si peu liée par la reconnaissance envers M. de Bracciano (puisqu’après tout les biens qu’on lui rendait avaient