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— Celle de Marseille.

— Nous allons donc à Marseille ?

— Pas précisément, mais dans un petit port très-proche de cette ville.

— Et quoi faire ?

— Nous y embarquer.

— Et pour quelle direction ?

— Ceci est mon secret ; confiez-vous à moi, et vous ne le regretterez pas… Pourtant je dois vous dire, ajouta-t-il d’un air qui, malgré moi, m’impressionna ; je dois vous dire, sans faire de mauvaise plaisanterie, que vous n’auriez pas tort, en cas de non-retour, de faire les dispositions que vous pourriez avoir à faire.

— Mon testament ! m’écriai-je en riant de toutes mes forces, cette fois.

— Comme vous voudrez, me dit lord Falmouth de son air impassible.

Tout en prenant ce voyage pour une espèce de mystification, à laquelle je me prêtais d’ailleurs fort volontiers, tant j’avais hâte de quitter Paris, où trop de cruels souvenirs m’attristaient, je ne savais véritablement pas s’il ne serait pas prudent d’écrire quelques derniers mots. Pourtant, je dis à lord Falmouth :

— Allons ! c’est un pari que vous avez fait de m’amener à écrire mon testament ?

— Ne le faites donc pas, me dit-il sans sourciller.


Hélène.

Je savais que plusieurs fois lord Falmouth était ainsi parti fort impromptu pour de très-longs voyages. Je pensais donc qu’il se pouvait, après tout, qu’il eût envie de s’absenter. Or, comme sa compagnie me plaisait fort, et que l’objet du voyage qu’il voulait me cacher, sans doute pour piquer ma curiosité par ces apparences mystérieuses, pouvait me convenir, et peut-être avoir des suites qu’il m’était impossible de prévoir, je crus bien d’écrire quelques mots, « en cas de non-retour, » comme il disait.

Cette détermination si prompte me semble aujourd’hui au moins aussi bizarre que les résultats qu’elle amena ; mais j’avais été si chagrin depuis quelque temps, j’étais tellement libre de toute affection, de tout devoir, que la brusquerie même de cette détermination me plut, comme plaît toujours une chose étrange à vingt-cinq ans.

Je fis venir mon ancien précepteur, et je lui laissai mes ordres et mes pouvoirs.


Frank.

Au bout d’une heure, mes préparatifs étaient terminés, la voiture de lord Falmouth nous attendait. J’y montai avec lui. Nos gens devaient nous suivre dans la mienne.

Dix minutes après, nous avions quitté Paris.


LORD FALMOUTH.
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CHAPITRE XXIX.

Projets.


J’étais parti de Paris avec lord Falmouth sous le poids d’une tristesse accablante. Bien qu’il me fût indifférent de quitter alors la vie du monde pour je ne sais quelle pérégrination dont j’ignorais encore le but mystérieux, le souvenir des affections si cruellement, si incomplètement