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d’une femme et la vie de deux hommes étaient en jeu, le tout d’ailleurs exprimé dans les meilleurs termes, et avec une réserve de détails si diaphane et une réticence de particularités si transparente que les noms propres eussent été moins significatifs.

Ainsi que cela arrive presque toujours, par un de ces à-propos que le destin se réserve, au moment où chacun disait son mot, sa remarque ou sa médisance sur cette aventure, l’on annonça le mari et la femme desquels il s’agissait.


M. du Pluvier.

Cette entrée conjugale, excusée et expliquée d’ailleurs par un récent retour à Paris, qui exigeait cette première visite faite de la sorte, n’étonna que médiocrement.

Pourtant, quoique les personnes qui remplissaient ce salon fussent habituées à ces sortes d’impromptu, il régna néanmoins une seconde de profond silence assez embarrassé et non moins embarrassant ; aussitôt madame de Pënàfiel, avec la plus naturelle et la plus parfaite aisance, afin de faire croire sans doute à une conversation commencée, et, s’adressant à moi, ce qui me sembla fort étrange, me dit :

— Vous croyez donc, monsieur, que la partition de ce nouveau maëstro annonce beaucoup d’avenir ?

— Un talent plein de charme et de mélancolie, madame, repris-je sans me déconcerter. Non pas peut-être d’une très-grande vigueur, mais sa musique est empreinte d’une suavité, d’une grâce inexprimables.

— Et quel est ce nouvel astre musical ? demanda avec une nuance de prétention à madame de Pënàfiel la jeune femme qui venait d’entrer, et dont on venait de parler si légèrement.

M. Bellini, madame… lui répondis-je en m’inclinant, afin d’éviter cette réponse à madame de Pënàfiel.

— Et le titre de l’opéra, madame la marquise ? demanda le mari de l’air du plus grand intérêt, et sans doute pour ne pas laisser épuiser si vite un tel sujet de conversation, chose en vérité assez rare.

— J’avais oublié de vous dire, madame, que le titre de ce nouvel opéra est la Norma, me hâtai-je de répondre en m’adressant à madame de Pënàfiel ; le sujet est, je crois, l’amour d’une prêtresse des Gaules.

Madame de Pënàfiel, saisissant aussitôt ce thème, le broda à ravir, et, après avoir démontré toutes les ressources d’un sujet si dramatique, elle saisit immédiatement l’occasion de faire de l’érudition sur la religion des druides, sur les pierres celtiques ; puis je pressentis qu’elle allait sans doute bientôt arriver, par une transition très-naturelle, à la discussion sur la valeur syllabique des hiéroglyphes, renouvelée d’Arthur Young.

M’étant, par hasard, assez occupé de ces études, parce que mon père, grand ami du célèbre orientaliste M. de Guignes, avait, dans sa retraite, longtemps médité ces problèmes alphabétiques, j’aurais pu faire singulièrement briller madame de Pënàfiel, et sans doute à mes dépens ; mais sa prétention me choqua, et je répondis bientôt à une attaque hiéroglyphique cette fois des plus directes par l’aveu le plus net de ma profonde ignorance dans ces matières, dont la seule aridité m’épouvantait.

Cet aveu d’ignorance me parut soulager d’un poids énorme les autres hommes, car ils eussent rougi de rester en dehors d’une telle conversation, qui prouve toujours des connaissances au delà d’une éducation ordinaire.


Les gentlemen riders.

Je ne sais si madame de Pënâfiel fut piquée de ma réserve, qui venait de lui faire perdre une si belle occasion de montrer son savoir, ou si elle crut mon ignorance affectée ; mais elle ne put dissimuler un mouvement de dépit ; pourtant, avec un art et un tact infinis, elle revint aux druides ; et passant des inscriptions celtiques au costume si pittoresque des prêtresses des Gaules, à leur robe traînante, au charmant effet que devait produire une coiffure de branches de houx dans les cheveux noirs