Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.


La barrière.

PRÉFACE


… Surtout le bon génie…
A. D. P. C. M. D. D. V.


Vers le milieu de l’année 1837, l’obscure gazette d’un département du midi de la France raconta la mort tragique d’une femme, d’un homme et d’un enfant.

Imparfaitement renseignée, cette feuille donna plusieurs versions sur ce fatal événement, tour à tour attribué à l’imprudence, au suicide et à la vengeance ; mais, par l’intervention d’une famille puissante qui avait un grave intérêt à étouffer le retentissement de cette déplorable aventure, ce journal démentit ces faits, en les donnant pour une fable qu’on oublia bientôt.

Celui qui écrit ces lignes dut néanmoins à de certaines circonstances d’être instruit des véritables détails de cette tragédie, qui sert à la fois d’exposition et de dénoûment au livre que voici. Le personnage d’Arthur n’est donc pas une fiction, son caractère, une invention d’écrivain ; les principaux événements de sa vie sont racontés naïvement ; presque toutes les particularités en sont vraies.

Attiré vers lui par un attrait aussi inexplicable qu’irrésistible, mais souvent forcé de l’abandonner, tantôt avec une sorte d’horreur, tantôt avec un sentiment de pitié douloureuse, j’ai longtemps connu, quelquefois consolé, mais toujours profondément plaint, cet homme singulier et malheureux.

Si, afin de rassembler ces souvenirs d’hier, et presque stéréotypés dans ma mémoire, j’ai choisi ce cadre : — journal d’un inconnu, — c’est que j’ai cru que ce mode d’affirmation pour ainsi dire personnelle donnerait encore plus d’autorité, d’individualité au caractère neuf et bizarre d’Arthur, dont ces pages sont le plus intime, le plus fidèle reflet.

En effet, une puissance rare, l’attraction ; — un penchant peu vulgaire, la défiance de soi, — servent de double pivot à cette nature excentrique, qui emprunte toute son originalité de la com-