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leuses arabesques faites de plumes de paon, de colibris, de verlas ; et les mille nuances de ces beaux plumages se confondaient avec tant d’art sur un fond obscur, qu’on eut dit du velours noir brodé d’or, d’azur, de rubis et d’émeraudes. Au milieu de ce mirifique grillage s’élevait, soutenue par un roseau curieusement ciselé, une petite plaque d’or assez large, et recouverte d’une couche de coton blanc, moelleux, et parfumé de feuilles de roses. Ce fut sur ce lit éblouissant, au milieu de ces fleurs, que Leila déposa l’œuf sacré.


Gratien.

Puis, prenant une sorte de psaltérion à deux cordes suspendu à un bambou, elle en tira un son qui vibra et retentit un instant au-dessus du murmure des oiseaux. Et, ayant replacé l’instrument, Leila s’éloigna du sanctuaire à reculons, les mains croisées sur son sein, en chantant une hymne maldive. La jeune fille, à mesure qu’elle s’éloignait du lieu sacré, diminuait, selon l’usage, la sonorité de sa voix. Aussi, lorsqu’elle fut arrivée près de la porte du temple, la voix de Leila, qui n’était plus qu’un murmure, prononça le dernier mot de l’hymne.

Quand le silence annonça que l’adorateur de Lari avait disparu, le grand-prêtre Barca-Gana sortit d’un des côtés du temple où était située sa case, s’avança près du rideau, vit l’œuf et se prosterna.

Barca-Gana était un grand-prêtre de soixante ans, d’une couleur fortement olivâtre, décharné, et son œil étincelait sous de longues paupières blanches. Dernier sectaire d’une tribu errante qui, venue du golfe Persique, s’était établie dans les montagnes inaccessibles de Bournou, Barca-Gana avait apporté les superstitions de sa terre natale ; et, comme plusieurs sectes des Égyptiens, des Hindous et des Persans, il adorait Dieu dans la créature : la Grue était l’oiseau sacré de ces idolâtres.

Barca-Gana, vêtu d’un bouakan vert qui l’entourait entièrement, avait la tête couverte d’un voile de crêpe orange à fleurs d’or, attaché sur son front avec des bandelettes de pierreries. Il s’approcha du petit coussin où était déposé l’œuf divin, l’œuf de grue ; et après plusieurs génuflexions se mit à chanter sur un rhythme monotone et cadencé les paroles suivantes en langue maldive :

« Ouvre le sanctuaire ; c’est un rayon de la flamme céleste, un atome de sa lumière, une étincelle de son feu.

« Être choisi par le grand scheik des vallons verts, toi qui fécondes le germe de ton souffle,

« Ouvre le sanctuaire.

« Pour toi seront les lézards sacrés, à écailles bleues, et tu les mangeras. Pour toi seront les dattes remplies de lait et de miel, et tu les mangeras ; pour toi seront les couches moelleuses de coton, pour toi choisi par le grand scheik des vallons verts pour féconder le germe divin de ta chaleur.

« Ouvre le sanctuaire.

« Ma tête est ceinte du taïlek, et mes épaules du bouakan : ouvre le sanctuaire. C’est une étincelle du feu divin que tu vas aviver de ton souffle, toi choisi par le grand scheik des vallons verts. »

Une main invisible tira le rideau qui glissa sur un bambou, et une nappe de clarté resplendissante inonda l’intérieur du temple.

Barca-Gana fut lui-même comme ébloui du spectacle qui s’offrait à sa vue.


CHAPITRE XLVIII.

L’Élu du grand scheik des vallons verts.


Ainsi le monde !
Un Béotien.


L’espace caché par le rideau formait un demi-cercle un peu allongé, construit en bambous, comme le reste du temple, mais peints d’un pourpre vif et éclatant, rehaussés par des anneaux d’or qui simulaient les bases et les chapiteaux de ces colonnes élégantes.


Le dernier coup de onze heures à l’horloge du port.

Du milieu du dôme, où allaient se joindre les roseaux verts qui surmontaient la colonnade rouge, pendait une vaste lampe d’argile, aussi