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chie et dédaigneuse de ce monde, il ne peut se dérober à ce monde même. Jésus ne se soucie pas des villes énormes, des continents en lutte, d’un bout de la terre relié à l’autre, des sciences et de l’art. Tolstoï est forcé de s’en occuper.

Le principe d’« être comme des enfants » n’est doux que dans un monde enfantin. Là, même, il a du péril. Ce monde court le risque de se noyer dans un fleuve de lait. Mais si cet Éden peut se défendre de sa propre innocence, il ne le pourra contre la méchanceté d’autrui. Une horde de Turcs aura bientôt fait, ici, de tout mettre à mort ; là, de tout détruire ; ici et là, de violer les petites filles et les femmes : Ainsi, la race des méchants profitera de la bonté des bons, pour perpétuer sa propre méchanceté. Dans le monde selon Tolstoï, la perfection est l’exercice de la défaite et du martyre. Le Royaume des Cieux est ouvert sur les champs de la Mort. Sans doute. Il n’est que trop vrai.

Voilà en quoi Tolstoï est épicurien. Il règne la même ataraxie au fond de son Évangile qu’au fond de la Physique d’Épicure. Épicure disait : Sache tout, — et laisse faire. — Tolstoï dit : Souffre