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courtois. Ses amis seuls connaissaient sa grande simplicité, la sûreté de son commerce et l’orgueil très noble qui l’animait. Mais le public s’obstinait à lui prêter les traits du père Ubu, et Jarry se prêtait trop à ce jeu. On peut dire qu’il se [1] d’avoir porté la tunique d’Ubu.

Un jour qu’il déjeunait chez de braves bourgeois, la dame de la maison vers la fin du repas se pencha vers lui. « Mais, Monsieur Jarry, vous ressemblez à tout le monde ; on m’avait cependant dit que vous étiez si extraordinaire, et fort grossier, tandis que je constate que vous êtes tout à fait bien élevé. » — « Merdre », riposta Jarry, sachant ce qu’on attendait de lui ; « qu’on me rapporte le gigot, ou, par ma cornegidouille, je vous fais tous décerveler. » — Quand le gigot reparut, Jarry l’empoigna des deux mains et se mit à le dévorer à pleines dents comme un sauvage à la foire. Son hôtesse était aux anges, et le pauvre père Ubu en fut quitte pour une indigestion.

Oscar Wilde écrivait à Stuart Merrill : « J’irai dîner chez vous demain, à condition que vous n’invitiez pas votre ami X. Il est tellement sérieux que je ne comprends pas un mot à ce qu’il me dit. »

  1. Blanc dans le texte.