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s’amusait à retourner, la tête en l’air, les aphorismes favoris de la bourgeoisie. Spirituel iconoclaste, il divertissait le public tout en lui faisant peur. Je crois même qu’entre deux coupes de champagne il faisait volontiers profession d’anarchie. Il avait déjà des détracteurs au fond des presbytères, mais peu d’ennemis dans la littérature, car il était foncièrement bon. Lui, qui devait connaître toute l’amertume de l’ingratitude humaine, ne profita jamais de son autorité pour nuire à un adversaire. Il ne se mesurait qu’à force égale.

D’ailleurs cet homme, qui pouvait paraître un peu trop naïvement glorieux, s’humiliait devant ceux qu’il reconnaissait comme ses supérieurs. Un soir, au Garrick Club, je le vis trembler comme un débutant en présence de Walter Pater, l’incomparable styliste de Marius l’Épicurien. Il fut le familier respectueux de Burne Jones, Walter Crane, Swinburne, Ruskin, Rossetti, Robert Browning. Bref, selon les idées de ce monde, Oscar Wilde fut parfaitement heureux, et, ce qui est rare, le savait et le disait.

Il suffit d’un procès follement engagé par lui contre le marquis de Queensbury pour que ce rêve trop beau s’écroulât. Oscar Wilde se réveilla un matin dans un cachot, parmi les ruines de sa vie et de son œuvre. Ses pièces furent retirées