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ALBERT MOCKEL

Il est peu de poètes qui sachent concilier en eux l’esprit critique et l’instinct créateur. Certes, il n’est pas d’écrivain qui ne se critique sans cesse au fur et à mesure du développement de sa pensée et de la réalisation de son œuvre. Le plus fatigant même dans le travail de la création, c’est ce perpétuel dédoublement de soi-même, ce va-et-vient de la pensée d’un point de vue à l’autre, cette obligation de reconsidérer de sang-froid ce qui fut accompli dans le délire poétique. Mais par esprit critique j’entends moins cette opération intime de l’âme que le jugement qui s’exerce sur des œuvres étrangères, qui se motive par des principes et qui aboutit à une esthétique.

À ce point de vue on peut compter les poètes qui furent bons critiques. Je ne vois guère à signaler qu’Edgar Poe, dont le génie s’exerça malheureusement sur des victimes indignes de lui, et Baudelaire, l’impeccable, le juste et l’infaillible. L’indulgence d’un Gautier nous le rend