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de courte durée. Mais elle me fournit l’occasion de voir le capitaine Colenso sous un aspect nouveau. Debout sur le pont, chaussé de bottes de mer, et vêtu d’un manteau de cuir, le vieillard était rajeuni, transfiguré. Son grand corps se balançait légèrement à chaque secousse du bateau, la joie de l’action et de la lutte illuminait son visage, et un éclat presque enfantin luisait dans ses petits yeux ridés. Il affrontait le danger avec l’entrain héroïque d’un Murat ou d’un Ney allant au feu.

Aussi ne pus-je m’empêcher, le lendemain, de l’interrompre dans sa promenade pour le féliciter de la belle conduite de son bateau.

« Hé ! dit-il en se ranimant un peu, la vieille carcasse ne s’en est pas trop mal tirée !

— Avons-nous été vraiment en danger ? »

Le vieillard fixa tout à coup ses yeux sur moi.

« Monsieur Ducie, j’ai servi le Seigneur toute ma vie, et je suis sûr qu’il ne laissera point périr le vaisseau qui porte mon honneur ! »

Puis, sans me laisser le temps d’approfondir cette nouvelle énigme, il reprit, d’un ton moins solennel :

« Vous ne le croiriez pas, mais la Lady Népean a eu dans son temps de belles journées !

— Le fait est que vous avez là des canons qui paraissent d’attaque ! observai-je, en désignant du doigt deux pièces d’artillerie d’un poli admirable.

— Eux aussi ont bien fait leur devoir ! répondit-il évasivement. À notre dernier voyage, — c’était peu de temps après le commencement de la guerre avec l’Amérique, nous avons rencontré un schooner qui avait douze canons de gros calibre ; et nous, avec nos huit pièces… »

Tout à coup il s’éloigna, comme s’il s’était déjà repenti d’avoir trop parlé.

« Excusez-moi, dit-il, j’ai un ordre à donner ! »

Mais ce fut lui au contraire qui, deux ou trois jours après, s’approcha de moi le premier, et m’invita à m’asseoir à côté de lui.