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Sur quoi il marcha droit vers le coin de la pièce où Flora siégeait parmi sa cour de petits jeunes gens : je dus me résigner à le suivre, assez penaud de la fin de notre dialogue.

Les petits jeunes gens s’enfuirent sans ombre de résistance, devant le major et moi : de telle sorte que nous restâmes face à face en présence de Flora. Ma bien-aimée avait relevé sa pelisse sur son bras et sa gorge, pour les abriter d’un courant d’air qui venait de la porte ; et la fourrure sombre, par contraste, accentuait encore l’éclat velouté de sa chair. Pendant une seconde, ses yeux errèrent de l’un à l’autre de ses deux prétendants, et je la vis hésiter. Puis elle s’adressa à Chevenix.

« Vous viendrez au bal, jeudi, naturellement, major Chevenix ? dit-elle.

— Je crains de n’être pas libre ce soir-là ! répondit-il. Le plaisir même de danser avec vous, miss Flora, doit céder devant le devoir ! »

L’entretien courut ensuite, quelque temps, innocemment, sur de menus faits de la vie d’Édimbourg ; mais, tout à coup, il dévia sur les nouvelles de la guerre. Je ne crois pas que la faute en ait été à personne de nous ; le sujet était dans l’air et devait fatalement arriver.

« Encore de bonnes nouvelles d’Espagne ! dit le major.

— Réjouissez-vous pendant qu’elles durent ! dis-je. Mais est-ce que miss Gilchrist ne voudrait pas nous dire sa pensée intime au sujet de la guerre ? Est-ce que à son admiration pour les vainqueurs ne se mêle pas quelque pitié pour les vaincus ?

— Oui certes, monsieur, dit-elle avec animation, oui, et peut-être même trop de pitié !

— La pitié est proche parente de l’amour, à en croire le proverbe ! hasardai-je.

— Eh bien ! dit Chevenix, voilà une question que nous allons poser à miss Gilchrist ! Elle décidera, et nous nous inclinerons devant sa décision. Dites-nous, miss Flora, si c’est la pitié ou l’admiration qui est la plus proche parente de l’amour ?