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d’eau, la partie inférieure du jardin s’était changée en étang. Par intervalles, quand le vent soufflait de nouveau, j’entendais passer au-dessus de moi un frémissement lugubre de branches mouillées ; et, sans interruption, tout l’enclos résonnait du bruit strident de la pluie.

M’approchant tout contre la fenêtre du salon, je réussis à lire l’heure à ma montre. Il était environ huit heures. Les habitants du cottage, sans doute, ne se retireraient point dans leurs chambres avant dix heures, peut-être avant minuit : perspective qui n’avait rien de plaisant pour moi. Dans une accalmie du vent, j’entendis, venant du salon, la voix de Flora qui lisait tout haut ; les mots, naturellement, je ne pouvais les distinguer : mais c’était un délicieux ruisseau de paroles vagues, calme, cordial, plus intime et plus séduisant, plus éloquent et non moins beau qu’un chant. Puis, dès la minute suivante, la clameur d’une nouvelle rafale se rua sur le cottage ; la douce voix s’y noya aussitôt ; et je me hâtai de m’éloigner d’un poste par trop dangereux.

Pendant trois heures bien pleines je dus, après cela, permettre aux éléments de s’exercer à leur aise contre moi ; mais le pire supplice me venait de mon impatience à revoir Flora. Je me rappelais des nuits de ma vie de soldat qui auraient dû me paraître plus pénibles encore : des nuits que j’avais passées debout aux avant-postes, sous la pluie et le vent, parfois sans souper, sans autre perspective que des coups de fusil pour le déjeuner du lendemain matin ; je me rappelais ces dures nuits, mais toutes me semblaient légères en comparaison. Telle est la manière étrange dont nous sommes faits ! Tant l’amour d’une femme a en nous de force, plus même que l’amour de la vie !

Mais, à la fin, mon attente fut récompensée. La lumière disparut du salon, et reparut, un moment après, dans la chambre au-dessus. Heureusement pour le succès de mon entreprise, je me trouvais connaître déjà assez bien les lieux. Je connaissais la tanière du dragon, celle-là même qui venait de s’éclairer. Et je connaissais aussi la grotte