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« En tout cas, vous êtes un gaillard, et vous avez du sang-froid ! dit-il. Ce sont là des choses pour me plaire ! Écoutez, je vais être carré avec vous ! Je vous prends la chaise pour cent livres sterling, en comptant le prix de votre dîner par-dessus le marché !

— Comment dites-vous ? m’écriai-je, profondément abasourdi.

— Vous allez me donner cent livres, répéta-t-il, et je vous prendrai la chaise. C’est à peu près ce qu’elle vaut, et il faut bien que vous vous en débarrassiez, d’une façon ou d’une autre ! »

Cette impudente proposition fut, en vérité, mon salut. Elle était si imprévue et si comique qu’elle me fournit une occasion de rire sincèrement. J’éclatai de rire au nez de l’aubergiste, et celui-ci, pour la première fois, fut déconcerté. Il ne savait que dire, ni où tourner ses yeux. Pour la première fois, il commença à admettre la possibilité d’une méprise à mon endroit.

« Je vois que vous aimez à rire, monsieur ! » dit-il.

— Oui, mais, de votre côté, vous êtes vraiment bien drôle ! » répondis-je ; et j’éclatai de nouveau.

Alors, d’une voix toute changée, il m’offrit vingt livres pour la chaise ; je lui en demandai vingt-cinq, et je tins bon ! En vérité, je la lui aurais volontiers laissée pour rien ; mais mon marchandage me parut encore un moyen de m’assurer une retraite sans danger. Car, bien que les hostilités fussent suspendues, je lisais toujours un soupçon dans les petits yeux qui rôdaient autour de moi. Et, à la fin, ce soupçon s’exprima en paroles.

« Tout cela est bel et bon ! dit l’aubergiste. Vous jouez très bien votre rôle, mais il faut que je fasse mon devoir ! »

Cette fois, j’avais prévu l’attaque et tenais mon effet en réserve. Je me levai de table.

« Sortez d’ici ! dis-je. C’en est trop ! Je crois vraiment que vous avez perdu l’esprit ! »

Puis, comme si une honte m’était venue soudain de cet éclat de passion :