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bliez, sans doute, que j’ai vu le feu, à cause de vous ! »

Lui donner davantage était impossible ; je sentais que, à le faire, je deviendrais la fable de Kirkby-Lonsdale. Je le regardai bien en face, avec un sourire, et, du ton le plus calme, je lui dis :

« Si vous ne voulez pas de cet argent, rendez-le-moi ! »

Il se hâta d’empocher la guinée ; après quoi, comme un drôle qu’il était, il se mit aussitôt à m’injurier.

« Allons, comme vous voudrez, monsieur Ramornie, ou du moins monsieur Saint-Yves, ou peut-être encore monsieur d’un autre nom ! »

Puis s’adressant aux garçons d’écurie :

« Voilà une drôle d’histoire s’écria-t-il. On s’appelle d’un certain nom, et tout à coup on se trouve en avoir un autre, et être un mounsseer, par-dessus le marché ! »

Je m’aperçus, à ce moment, que Rowley s’agitait et serrait les poings. Pour un peu, il aurait ajouté une dernière touche au ridicule de notre arrivée, en se prenant aux cheveux avec le postillon.

« Rowley ! » lui criai-je d’un accent de reproche.

Strictement, j’aurais dû dire « Gammon » ; mais, parmi l’émoi général, je crois bien que cette faute-là passa inaperçue.

Au même instant, je vis, fixé sur moi, le regard de l’aubergiste. C’était un homme long et mince, brun et bilieux, avec un nez tombant, ce qui est signe d’esprit, et les petits yeux brillants d’un observateur. Il devina aussitôt mon embarras, s’approcha, renvoya le postillon à l’écurie et, s’adressant à moi :

« Monsieur désire dîner dans une chambre particulière ? Très bien ! John, préparez pour monsieur le n° 4 ! Une bouteille de vieux bordeaux ? Très bien, monsieur ! Et monsieur désire-t-il d’autres chevaux pour continuer le voyage ? Non ? Très bien, monsieur ! »

Chacune de ces phrases s’accompagnait d’une sorte de salut et avait pour préface une sorte de sourire dont je me serais bien volontiers passé. La politesse de cet