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Wallace, le seul héros qui lui fût vraiment familier. Souvent, quand l’idée lui venait que nous allions en Écosse, il se réjouissait à la perspective de « voir de ses yeux la patrie de Wallace ». Et c’est à ce propos que, un soir, il se prit à moraliser :

« Il y a, monsieur, quelque chose d’étrange dans ma destinée ! car enfin je suis Anglais, et je m’en glorifie. Qu’un de vos Frenchies vienne ici nous envahir, et vous me verrez à l’ouvrage ! Et cependant voilà que, le jour où j’ai fait la connaissance de William Wallace, tout de suite j’ai commencé à l’admirer comme personne que j’eusse connu auparavant. Et puis vous êtes venu, et je me suis attaché, à vous. Et cependant, tous les deux, Wallace et vous, vous étiez mes ennemis nés ! Je… vous demande pardon, monsieur Ramornie ; mais est-ce que cela vous gênerait beaucoup de vous abstenir de rien faire contre ma patrie aussi longtemps que je serai près de vous ? »

Ces paroles imprévues m’affectèrent plus que je ne saurais dire.

« Rowley, répondis-je, soyez sans crainte ! Autant je tiens à mon propre honneur, autant je me reprocherais de compromettre le vôtre. Nous ne faisons que fraterniser aux avant-postes, comme font les soldats. Mais quand le clairon sonnera, mon garçon, nous nous trouverons l’un contre l’autre, l’un pour l’Angleterre, l’autre pour la France, et veuille Dieu donner la victoire au plus digne ! »

Ainsi je parlai sur le moment ; mais, avec tous mes airs de bravoure, l’enfant m’avait blessé à l’endroit le plus sensible. Ses mots continuèrent à tinter dans mes oreilles. Toute cette soirée-là, le remords qui m’accablait ne me laissa point de répit ; et, la nuit (que nous passâmes à Lichfield, si j’ai bon souvenir), il n’y eut point pour moi de sommeil dans mon lit. J’avais éteint la chandelle et m’étais enfoncé la tête sous les draps, résolu à oublier ; mais, dès l’instant d’après, tout s’illumina autour de moi,