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— Il lisait le journal ! dis-je. Quel journal, le savez-vous ?

— Tenez, celui-ci, monsieur ! Je suppose qu’il aura glissé de sa poche. »

Et, ramassant un journal à terre, il me le présenta.

À coup sûr la chose n’avait pour moi rien d’imprévu ; je savais à quoi m’attendre. Mais, à la vue de ce journal mon cœur s’arrêta de battre. J’avais là, devant moi, la réalisation tangible de la prophétie de Romaine ! Le journal était ouvert à l’endroit où se trouvait racontée la capture de Clausel ! Je sentis que je prendrais volontiers, moi aussi, un verre de curaçao ; mais, après réflexion, je commandai plutôt de l’eau-de-vie de Cognac. Et, pour comble de malchance, je crus voir que le garçon clignait des yeux, comme s’il s’était tout à coup aperçu de ma ressemblance avec Alain. Je frémis à la pensée de la nouvelle sottise que je venais de commettre. Car je m’étais arrangé pour rendre mon identité indubitable, s’il venait à l’esprit d’Alain de faire une enquête à Aylesbury et, comme si cela n’était pas suffisant, je venais, au prix de soixante-dix livres sterling, de creuser un sillon le long duquel mon cousin pourrait me suivre d’un bout à l’autre de l’Angleterre, sous la forme d’une chaise de poste couleur lie-de-vin !

Cet élégant équipage (que je commençais à considérer comme une sorte d’antichambre, peinte en rouge, de la charrette du bourreau chargé de me pendre) s’avança, en cet instant devant la porte. Je laissai mon déjeuner inachevé et me mis en route, remontant vers le Nord avec autant d’empressement que, suivant toute probabilité, mon cousin Alain en mettait à se diriger dans un autre sens.