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II

Le portefeuille.


Dès que nous eûmes fini notre dîner, le médecin, en s’excusant me quitta pour retourner auprès de son patient, et, presque aussitôt après, je fus moi-même mandé auprès de celui-ci. Par le grand escalier et puis par d’interminables corridors, on me conduisit au chevet de mon grand-oncle. Je prie le lecteur de songer que, jusqu’à ce moment, je n’avais jamais vu le formidable personnage, et que toujours, depuis l’enfance, j’avais entendu parler de lui en termes très durs : car, dans la société qui entourait mes parents, personne ne se serait hasardé à dire une bonne parole des premiers « émigrés ». Au reste, ni le notaire Romaine, ni son extravagant clerc Dudgeon, ni mon nouveau serviteur Rowley ne m’avaient fait du vieillard une peinture bien aimable : de telle sorte que je n’étais guère disposé à le juger avec indulgence, lorsque je fus introduit dans sa chambre. Je le trouvai appuyé sur des oreillers, dans une petite couchette à peine plus large qu’un lit de camp. Il avait plus de quatre-vingts ans, et le faisait voir : non que son visage fût particulièrement ridé, mais le sang et la couleur en avaient disparu, et ses yeux, qu’il tenait fermés presque sans cesse, tant la moindre lumière leur était sensible, semblaient inanimés. Il y avait dans toute son expression quelque chose, non pas peut-être de rusé, mais d’apprêté et de calculé, qui me mettait mal à l’aise : couché là, à demi