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« Hé, dis-je, mais vous rasez comme un ange, Rowley !

– Je vous remercie, Votre Seigneurie ! dit-il. M. Powl m’a certifié, hier encore, que lui-même n’aurait pas peur de se laisser raser par moi. Mais c’est que, voyez-vous, monsieur, il y a plus de trois semaines que je m’exerce en rasant deux fois par jour le garçon d’écurie ! Voici plus d’un mois que nous vous attendons ! Tous les jours on allume le feu, on fait le lit, et tout le reste. Aussitôt qu’on a su que vous viendriez peut-être, monsieur, j’ai été désigné pour vous servir ; et je peux bien dire que, depuis lors, je ne suis pas resté une minute en place. Dès qu’une roue se faisait entendre dans l’avenue, j’étais à la fenêtre ! Et j’ai eu, ainsi, bien des désappointements ; mais ce soir, aussitôt que j’ai vu la chaise de poste, j’ai compris que c’était mon… que c’était vous ! Oh ! vous pouvez vous vanter d’avoir été attendu ! Savez-vous que tout à l’heure, quand je vais descendre souper, je serai le héros de tous les domestiques ; tout le monde est si curieux de savoir comment vous êtes !

— Eh bien ! dis-je, j’espère que vous pourrez faire de moi une description flatteuse : un garçon sobre, actif, régulier, d’un caractère égal, et avec d’excellents certificats de toutes ses places précédentes ! »

Il se mit à rire, d’un rire embarrassé. Puis, pour changer de sujet :

« Vos cheveux frisent admirablement me dit-il. Ceux du vicomte frisent aussi ; chez lui, c’est même encore plus beau, parce que M. Powl m’a avoué que, de nature, ses cheveux étaient raides comme des baguettes de tambour. Mais, tout de même, il vieillit, le vicomte ! Le fait est qu’il change beaucoup, n’est-ce pas, monsieur ?

— En vérité, répondis-je, je suis assez peu renseigné sur lui. Notre famille s’est trouvée fort divisée : et, quant à moi, j’ai été soldat presque dès l’enfance.

— Soldat, monsieur Anne ! s’écria M. Rowley avec une animation fiévreuse. Avez-vous jamais été blessé ? »

Son enthousiasme me touchait trop pour que je fisse