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— Excusez-moi, interrompit-il, je ne prétends à rien de pareil. Je dis seulement que mon métier m’a permis d’étudier de près les usages de la meilleure noblesse anglaise, et aussi française. Mais, quant à moi, je ne suis qu’un bourgeois.

— Mais enfin, pour l’amour du ciel, m’écriai-je, qui donc êtes-vous et quel métier faites-vous ?

— Je n’ai point de raison d’avoir honte de mon nom, monsieur, répondit-il, ni de mon métier ! Je suis à votre service, Thomas Dudgeon, premier clerc de M. Daniel Romaine, notaire dans la cité de Londres ! »

Ce ne fut que par l’extase de mon soulagement que je mesurai combien vive avait été mon alarme. Je lançai mon bâton sur le sol.

« Romaine ! m’écriai-je, Daniel Romaine ? un petit homme ? avec une grosse tête et un visage rouge ? Dans mes bras, mon cher ami !

— Allons, laissez-moi ! », disait Dudgeon en se débattant.

Mais il avait beau se débattre. Qu’il le voulût ou non, je l’avais attiré sur ma poitrine et l’y tenais pressé. Mon élan avait été si fort que chapeau ni perruque n’y avaient résisté. Et je me rends bien compte, aujourd’hui, de ce que cette scène devait avoir de comique et d’absurde ; mais, sans doute, mes nerfs avaient été trop ébranlés ; j’avais besoin d’embrasser ce hideux rond-de-cuir pour les détendre et les remettre en ordre.

« Et maintenant, mon petit Dudgeon, je vais m’expliquer ! repris-je, en ramassant galamment la perruque et le chapeau. Voyez-vous, je connais votre maître, il me connaît, et il approuve le voyage que je suis en train de faire. Voilà ce que je puis vous dire, et puis aussi que le but de mon voyage est Amersham Place !

– Oh ! oh ! fit Dudgeon, je commence à voir !

— Ma foi, j’en suis bien aise, répondis-je, car je ne puis pas vous en dire davantage. Pour le reste, il faut que vous m’en croyiez sur parole. C’est à prendre ou à laisser. Si vous ne me croyez pas, allons ensemble nous loger jusqu’à