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voulez, je me mettrai à votre disposition pour vous seconder. Et quant à vous, jeune homme, vous avez montré toute l’insouciance et toute la cruauté de la jeunesse. Monsieur est votre supérieur ; il n’est plus jeune (cette dernière observation ne sembla pas être du goût du beau major), vous lui devez le respect ! En effet, il a rompu la parole donnée. Je n’en connais pas le motif, ni vous non plus. Ce motif est peut-être le patriotisme, à l’heure où notre pays est en péril, c’est peut-être l’humanité, ou la nécessité. En tous cas, vous n’avez pas le droit de vous en occuper ! Une parole rompue, cela peut être un sujet de pitié, mais non de moquerie. J’ai rompu la mienne, moi, un colonel de l’empire ! Et savez-vous pourquoi ? Depuis deux ans je suis en instance pour obtenir d’être échangé, et je n’y parviens pas ; sans cesse d’autres, plus influents, passent avant moi, et j’attends en vain, et ma fille, chez moi, est en train de mourir. Je m’en vais pour revoir ma fille encore une fois ! Elle est malade, très malade : Dieu sait si elle vit encore ! »

À ces mots tout mon cœur se fondit.

« Pour l’amour du ciel, m’écriai-je, oubliez ce que je viens de dire ! Une parole ? Qu’est-ce qu’une parole en regard de la vie et de la mort, et de l’amour ? Pardonnez-moi tous les deux, par pitié ! Aussi longtemps que je serai avec vous, vous n’aurez plus à vous plaindre de moi. Et vous, mon colonel, je prie Dieu que vous retrouviez votre fille vivante et bien portante !

— Oui, mon enfant, priez pour elle ! » dit le vieillard. Et aussitôt la petite flamme s’éteignit en lui ; et, s’affaissant sur sa chaise, il retomba dans sa torpeur.

La révélation de la peine de ce pauvre vieillard et la vue de son visage m’avaient rempli d’un remords infini. J’insistai pour échanger une poignée de main avec le major, qui finit par y consentir sans trop de mauvaise grâce, et je me confondis en excuses.

« Après tout, dis-je, quel droit ai-je de parler ? J’ai la chance de n’être qu’un simple soldat ; je n’ai point de pa-