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Je le suivis à travers la maison jusque dans la cour de l’écurie, où j’aperçus le cocher occupé à laver le chariot sous un hangar. Certainement il avait entendu l’explosion du pistolet. Il n’avait pas pu ne pas l’entendre : l’arme avait l’aspect d’une petite espingole et était bruyante comme une pièce d’artillerie. Il avait entendu et n’avait pas bougé ; et maintenant, lorsque nous sortîmes de la maison par la porte de derrière, il leva tout à coup un visage pâle et hagard qui valait toute une confession. L’animal s’était attendu à voir Fenn sortir seul : et évidemment il croyait qu’on allait l’appeler pour jouer ce rôle de fossoyeur que je lui avais prêté, déjà, en imagination.

Je n’importunerai pas le lecteur du récit de notre visite à l’arrière-cuisine, où bientôt nous nous trouvâmes assis devant un pot d’excellente ale, Fenn et moi : Fenn pareil à un vieux, fidèle, dévoué serviteur ; et moi, — eh bien ! moi, saisi d’une véritable admiration pour tant d’impudence, je commençais à me prendre de goût pour cet homme. Je découvrais une sorte de beauté en lui, tellement son aplomb était majestueux !

Il poussa la familiarité jusqu’à m’introduire dans son autobiographie : j’appris comment la ferme, malgré la guerre et l’enchérissement du prix des denrées, ne lui avait point donné les profits qu’il espérait ; comment les vents, les pluies, les saisons, n’avaient point marché de la façon qu’ils auraient dû ; et comment Mme Fenn était morte. « Je l’ai perdue il y a bientôt deux ans : une femme des plus remarquables, monsieur, si vous voulez bien m’excuser ! » ajouta-t-il, dans un brusque élan d’humilité. En un mot il me fournit l’occasion d’étudier John Bull, pour ainsi parler, à l’état de nature ; avec son avidité, sa perfidie et sa bonhomie, tout cela poussé au superlatif.