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avenir honorable et distingué. Le plus grand de mes défauts était cette soif de plaisir qui contribue au-bonheur de bien des gens, mais qui ne se conciliait guère avec ma préoccupation de porter la tête haute devant le public, de garder une contenance particulièrement grave. Il arriva donc que je cachai mes fredaines, et que, lorsque ma situation se trouva solidement établie, j’avais déjà pris l’habitude invétérée d’une vie double. Plus d’un aurait fait parade des légères irrégularités de conduite dont je me sentais coupable ; mais, considérées des hauteurs où j’aimais à me placer, elles m’apparaissaient, au contraire, comme inexcusables, et je les cachais avec un sentiment de honte presque morbide. Ce fut donc beaucoup moins l’ignominie de mes fautes que l’exigence de mes aspirations qui me fit ce que j’étais, et qui creusa chez moi, plus profondément que chez la majorité des hommes, une séparation marquée entre le bien et le mal, ces provinces distinctes qui composent la dualité de la nature humaine.

« J’étais amené ainsi, bien souvent, à méditer sur cette dure loi de la vie qui gît aux racines mêmes de la religion et qui est une si grande cause de souffrance. Malgré ma duplicité, je ne me trouvais en aucune façon hypocrite ; mes deux natures prenaient tout au sérieux de bonne foi ; je