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PRINCE ERRANT

rocher qui d’un côté s’abaissait en promontoire ; ce fut là qu’Othon grimpa et s’assit pour réfléchir.

Bientôt le soleil perça le rideau de branches et de jeune feuillage qui formait une sorte de berceau de verdure au-dessus de la cascade, et les éclats dorés et les ombres fuyantes vinrent marbrer la surface du creux. Les dards de lumière plongeaient profondément dans le sein de l’onde tremblante, et une pointe, scintillante comme un diamant, s’alluma au milieu du tourbillon. L’air devenait chaud là où s’attardait Othon ; chaud et capiteux. Les rayons se balançaient, s’entrelaçaient sur la surface mobile de l’eau ; leurs reflets papillonnaient sur le rocher, et la cascade agitait l’air autour d’elle comme un rideau flottant.

Othon, fatigué par sa nuit blanche, harcelé par les horribles fantômes du remords et de la jalousie, se prit d’amour, soudain, pour ce coin rempli d’échos, diapré de soleil et d’ombre. Blotti, embrassant ses genoux, plongé dans une espèce d’extase, il regardait, admirant, s’émerveillant, se perdant parmi ses vagues pensées. Rien n’irrite aussi vraisemblablement les façons du libre arbitre, que cet émoi inconscient avec lequel, tout en suivant à l’aveugle les lois fluides, un cours d’eau lutte contre les obstacles. C’est en tous points la comédie de l’homme et du destin. Absorbé dans le spectacle de cette réitération constante, Othon descendit par degrés dans une égale profondeur de somnolence et de philosophie : Prince et Onde, tous deux heurtés dans le cours de leurs desseins, emprisonnés tous deux par quelque influence intangible dans un petit coin du monde. Prince et