Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
PRINCE ERRANT

franchi les marches ; car on devient casanier sur le retour, voyez-vous, mais je m’en souviens comme d’hier. Montée ou descente, la route va tout droit d’ici à Mittwalden, et, tout le long, rien que beaux sapins verts, petits et grands ; et de l’eau courante, de l’eau courante pour qui en veut ! Nous avions là, tout près de la route, un petit coin de forêt que j’ai vendu, et chaque fois que je pense à la pile d’écus sonnants qu’on m’en a donnée, je me mets malgré moi à calculer ce que pourrait bien valoir la forêt entière.

— Et le prince ? demanda Othon. Vous ne le voyez jamais, je suppose ?

Ici le jeune homme prit la parole pour la première fois : — Non, dit-il, et, ce qui plus est, nous n’en avons nulle envie.

— Pourquoi cela ? Il est donc bien détesté ?

— Détesté, non, répondit le vieux fermier ; dites méprisé, Monsieur.

— Vraiment ? fit le prince d’une voix un peu faible.

Chargeant sa longue pipe et secouant la tête, Killian continua : — Méprisé, c’est le mot. Et, à mon avis, justement méprisé. Voilà pourtant un homme qui avait l’occasion belle. Eh bien, qu’en a-t-il fait ? Il chasse à courre… Il s’habille fort joliment, ce qui est même une chose dont un homme devrait avoir honte. Il joue la comédie. Et si jamais il fait autre chose, la nouvelle, du moins, n’en est pas venue jusqu’à nous.

— Tout cela est pourtant bien innocent, dit le prince. Que voudriez-vous donc qu’il fît, la guerre ?

— Non, Monsieur. Mais je vais vous dire ce que