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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

sent été dépêchées, il était déjà tard. Othon retint le chancelier à dîner, et se vit régaler d’une brassée d’histoires anciennes et de compliments nouveaux. La carrière du chancelier avait été basée dès les premiers pas sur une entière subordination ; il avait rampé jusqu’aux honneurs et aux emplois ; son esprit était prostitué. L’instinct de cet être le servit bien auprès d’Othon. Il commença par laisser tomber un mot ou deux de moquerie au sujet de l’intellect féminin. De là il s’avança plus loin, et avant le troisième service il en était déjà à disséquer habilement le caractère de Séraphine, sous l’approbation de son époux. Naturellement, personne ne fut nommé. Et tout aussi naturellement l’identité de l’homme idéal, de l’homme abstrait auquel elle se trouvait constamment comparée demeura le secret de la comédie.

Mais ce vieillard compassé possédait un merveilleux instinct pour le mal, et savait se faufiler dans la citadelle humaine ; il pouvait, des heures durant, entonner la litanie des qualités de son interlocuteur, sans jamais en effaroucher l’estime de soi. Au physique comme au moral, tout en Othon était couleur de rose, effets combinés de la flatterie habile, du Tokai, et d’une conscience satisfaite. Il se voyait lui-même sous les apparences les plus attrayantes. Si Greisengesang même, pensait-il, était capable de remarquer les petits faibles du caractère de Séraphine, et de les indiquer ainsi déloyalement au camp opposé, lui, l’époux congédié, le prince dépossédé, ne devait guère avoir erré dans le sens de la sévérité.