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LES DEUX VOISINS.

voisins, mariés la même année, avaient tous deux le même nombre d’enfants, un garçon qui était l’aîné dans chaque famille et trois filles, soit quatre enfants à chacun.

Or donc, tandis que chez le voisin Jean-Baptiste, l’intérieur de la famille se gérait avec une précision toute mathématique et la plus stricte économie de temps et d’argent, le voisin Pierre — excellent homme d’ailleurs — se reposait sur sa femme de l’administration du ménage, — sa femme s’en reposait sur les servantes, et ces dernières ne se reposaient sur personne pour faire danser l’anse du panier et les écus à Monsieur.

Le résultat le plus clair de cette différente manière d’agir, c’est que chaque année, Jean-Baptiste arrondissait son capital de deux cents piastres, tandis que le voisin Pierre dépensait tout juste assez pour ne pas écorner le sien.

Aussi longtemps que les enfants ne grandirent pas trop, tout alla suffisamment bien chez le voisin Pierre qui, comme bien de bonnes natures de son espèce, se laissait aller à la dérive sans avoir l’énergie de lutter contre le courant. Madame, de temps à autre, donnait des dîners, de grandes soirées, et comme elle invitait beaucoup de monde, elle était aussi beaucoup invitée. Pendant que Monsieur et Madame faisaient bombance ailleurs, les servantes demeurées à la maison, ne se gênaient nullement pour faire bombance à leur tour, et l’anse du panier, du panier à Pierre, à ce pauvre Pierre, continuait à danser de plus belle.

Le voisin Pierre n’était pas cependant sans voir quelquefois le voisin Jean-Baptiste. Il aimait à l’entendre converser, et subissait petit à petit, sans même s’en douter, l’ascendant que les intelligences vraiment supérieures exercent toujours autour d’elles.

Un jour qu’il le regardait greffant des sauvageons