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Van-Swieten, le maestro Fribert, le maestro Pichl, le violoncelle Bertoja, le conseiller Griesenger, le maestro Weigl, M. Martinez, mademoiselle de Kurtzberg, élève d’un rare talent et amie d’Haydn, et enfin le copiste fidèle de sa musique. Vous me pardonnerez les détails, il s’agit d’un de ces génies qui, parle développement de leurs facultés, n’ont fait autre chose au monde qu’augmenter ses plaisirs, et fournir de nouvelles distractions à ses misères ; génies vraiment sublimes, et auxquels le vulgaire stupide préfère les hommes qui se font un nom en faisant entre-battre quelques milliers de ces tristes badauds.

Le parnasse musical comptait déjà un grand nombre de compositeurs célèbres, quand, dans un village de l’Autriche, vint au monde le créateur de la symphonie. Les études et le génie des prédécesseurs d’Haydn avaient été dirigés vers la partie vocale, qui, dans le fait, forme la base des plaisirs que peut nous donner la musique ; ils n’employaient les instruments que comme un accessoire agréable : tels sont les paysages dans les tableaux d’histoire, ou les ornements en architecture.

La musique était une monarchie : le chant régnait en maître ; les accompagnements n’étaient que des sujets. Ce genre, où l’on ne fait pas entrer la voix humaine, cette république de sons divers et cependant réunis, dans laquelle tour à tour chaque instrument peut attirer l’attention, avait à peine commencé à se montrer vers la fin du dix-septième siècle. Ce fut, je crois, Lulli qui inventa ces symphonies que nous appelons ouvertures ; mais même dans les symphonies, dès que le morceau fugué[1] cessait, on sentait la monarchie.

  1. La fugue est une espèce de musique où l’on traite, suivant certaines règles, un chant appelé sujet, en le faisant passer successivement et alternativement d’une partie à l’autre. Tout le monde connaît le canon de


    Frère Jacques, dormez-vous ?
    Sonnez les matines.


    C’est une espèce de fugue. Les fugues, en général, rendent la musique plus bruyante qu’agréable ; c’est pourquoi elles conviennent mieux dans les chœurs que partout ailleurs ; or, comme leur principal mérite est de fixer toujours l’oreille sur le chant principal, ou sujet, qu’on fait pour cela passer incessamment de partie en partie, le compositeur doit mettre tous ses soins à rendre toujours ce chant bien distinct, et à empêcher qu’il ne soit étouffé ou confondu parmi les autres parties.

    Le plaisir que donne cette espèce de composition étant toujours médiocre, on peut dire qu’une belle fugue est l’ingrat chef-d’œuvre d’un bon harmoniste. (Rousseau, I, 407.)

    Tout le monde a entendu Dusseck jouer sur le piano les variations de Marlborough, ou de l’air Charmante Gabrielle. Dans ce pauvre genre de musique, l’air primitif, que l’on gâte avec tant de prétention, est ce qu’on appelle le thème, le sujet, le motif. C’est le sens dans lequel ces mots sont employés ici.