Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Jacques de As you like it) est devenue un si grand plaisir pour moi, que quand un ami m’aborde dans la rue, je donnerais un paule pour qu’il ne m’adressât pas la parole. La vue seule de quelqu’un que je connais me contrarie. Quand je vois un tel être de loin, et qu’il faut songer à le saluer, cela me contrarie cinquante pas à l’avance. J’adore, au contraire, rencontrer des amis le soir en société, le samedi chez M. Cuvier, le dimanche chez M. de Tracy, le mardi chez Mme  Ancelot, le mercredi chez le baron Gérard, etc., etc.

Un homme doué d’un peu de tact s’aperçoit facilement qu’il me contrarie en me parlant dans la rue. Voilà un homme qui est peu sensible à mon mérite, se dit la vanité de cet homme, et elle a tort.

De là mon bonheur à me promener fièrement dans une ville étrangère (Lancaster, Torre del Greco, etc.), où je suis arrivé depuis une heure et où je suis sûr de n’être connu de personne. Depuis quelques années ce bonheur commence à me manquer. Sans le mal de mer j’irais voyager avec plaisir en Amérique. Me croira-t-on ? Je porterais un masque avec plaisir, je changerais de nom avec délices. Les mille et une nuits que j’adore occupent plus du quart de ma tête. Souvent je pense à l’anneau d’Angélique ; mon sou-